Le point de vue de l’auteur


Partons du fait que la musique ne peut être rendue de manière adéquate par le truchement des mots. Dans ce cas, comment en parler, si ce n’est par des biais? Un de ces biais peut être la fiction littéraire, c’est-à-dire recréer un monde en réduction, clos et complet. Dans Opus incertum, tous les détails sont " réels ", le cadre aussi (le Paris du début du siècle), certains personnages ont réellement existé (Debussy, Segalen) ou sont, pour le moins, plausibles. Mais l’histoire est fictive, bien entendu.
Puisqu’il m’était " impossible " de parler de la musique, j’ai eu recours à des techniques " impressionnistes ", la peinture et la fiction romanesque, et je me suis penché sur des musiciens et sur un concert à la Belle Époque.
Dans Opus incertum on trouve donc (entre autres): autant de voix que d’instruments ; la structure d’une sonate (3 mouvements, thèmes, exposition, reprises, etc.) ; une ligne harmonique (la voix du critique Georges Devereux sert de fil conducteur) ; une ligne mélodique (la relation tumultueuse entre Claire Desormeaux et Daniel Gaigan).
Cependant, je m’empresse d’ajouter que je me suis bien amusé à raconter des histoires, à brosser des portraits, et que je n’ai d’autre prétention que d’offrir au lecteur un " divertissement " et de lui tendre un " miroir " incertain où se reflète certes une époque donnée, mais aussi des comportements et des faits intemporels.


Opus incertum

Calmann-Lévy - 2000


Critiques


" Un roman en musique, c’est rare : saluons-le. D’autant qu’il ne s’agit pas de n’importe quelle musique : le premier personnage à entrer en scène est Claude Debussy soi-même. Un concert en temps réel. Vu par un critique : Georges Devereux, qui n’a pas les yeux, ni les oreilles, dans sa poche. Côté musiciens, on frôle le ringardisme, mais leur portrait, un par un, est très savoureux. (…) Ce qui n’empêche pas, grâce à l’utilisation du champ-contrechamp, une jolie délicatesse de touche. (…) L’auteur, qui ne manque pas d’humour, est tout à fait dans le ton pour cette peinture de la belle époque. Et sa " Dame blanche ", Claire, l’héroïne, est très attachante. N’oublions pas non plus de citer l’épigraphe : " Toute musique qui ne peint rien n’est que du bruit. " (D’Alembert). Ainsi de la littérature."

Claude Mourthé, Magazine littéraire


" Un livre plein de sous-entendus. "

Thierry Beauvert, France-Musique


" Il y a Théodore Raffanel, le chef présomptueux ; Camille Fauchey, le pianiste maladroit ; Mathurin Durassier, le hautboïste inquiet ; Robert Benoît, le tromboniste complexé ; Gabriel Blancard, le timbalier aigri ; Daniel Gaigan, l'altiste magnifique… Ils se retrouvent avec quelques autres, salle Érard, dimanche 23 juin 1907, pour un concert historique. Au programme, des œuvres de César Franck, Vincent d'Indy, Maurice Ravel et Claude Debussy. L'auteur du Prélude à l'après-midi d'un faune s'est déplacé en personne. Alain Gnaedig évoque l'impossible harmonie entre des interprètes que rien ne lie. Laissant libre cours à son amour des musiciens, il signe un roman astucieux, classique et attachant. "

Sébastien Lapaque, Le Figaro littéraire


" C'est par sa construction qu'Opus incertum sort de l'ordinaire. Mais ce sont les presque cent ans qui nous séparent du temps où se situe le récit qui nous le rendent attachant et presque exotique. (…) Opus incertum sera une succession de monologues intérieurs auxquels ce concert dominical sert d'argument et de fil conducteur. Le chef d'orchestre est infatué, le pianiste pistonné et celui qui devrait être le soliste au piano joue de l'alto. Dans l'orchestre, quelques instrumentistes sont là pour gagner (mal) leur vie, d'autres pour faire de la musique, la plupart pour d'obscures et complexes raisons. Le vieux violoniste est là pour mourir, il fera une crise cardiaque juste avant l'accord final. (…) Dans la salle, le lecteur est surtout le confident privilégié du critique imaginant des phrases assassines qu'il n'écrira pas. Comme il est intrigué par la présence d'une mystérieuse femme en blanc, on entre aussi dans les pensées de celle-ci, pianiste blessée sachant qu'elle ne jouera plus jamais mais faisant les yeux doux à l'altiste… Il y a encore la demi-mondaine, le député et quelques mélomanes. Les uns et les autres ruminent ou conspirent, écoutent un peu… C'est tout un microcosme de la société parisienne du début du XXe siècle que ressuscite Alain Gnaedig, promenant le lecteur dans des intimités et des destinées parfois cocasses, parfois tragiques. L'auteur manifestement connaît la musique, l'esprit, tant aristocratique que bourgeois, de ce temps-là, le statut alors singulier de musicien d'orchestre. Il émaille sa fiction de citations et de faits réels, donnant ainsi à son roman une trame d'authenticité. (…) Gnaedig, dans un style élégant qui épouse l'époque évoquée, raille et épingle, mais avec une constante tendresse aussi bien envers les purs musiciens qu'envers les comparses médiocres, tous piégés par le goût du jour de cet après-midi de 1907. "

Eliane Waeber Imstepf, La Liberté


" Un après-midi de concert réunit, ce 23 juin 1907 à Paris, un public hétéroclite de la Société des concerts nationaux. Les uns assis sur leur chaise, certains venus pour se montrer; les autres vigilants à leur lutrin. Au signal du chef d'orchestre, un flot de musique envahit la salle, et nul n'est plus isolé sur sa chaise ou sur l'îlot de ses rêveries. Car, aussi présente que la baguette du chef, il y a la plume du narrateur, qui, autoritaire et indiscrète, virevolte dans l'esprit de tous, chatouille dans la mémoire de chacun des secrets sordides ou pathétiques, réveille les trémolos de drames intimes, qui parfois se recoupent et s'emmêlent. Une symphonie de vies et de pensées qui font vibrer les émotions dans l'espace clos de la salle. Un tableau de la Belle Epoque sous forme de partition littéraire. "

F. D., Le Matin (Lausanne)


" Born into a musical family, Gnaedig weaves his knowledge and research of music and musical history into his imaginative Opus incertum that transports the reader into the musical world of Paris in 1907. The novel is set in the concert hall, salle Érard, with a program consisting of Franck, d'Indy, Ravel and Debussy. The reader glimpses behind-the-scenes perspectives of not only the musical practice and thoughts of the time, but also the dynamics of social class and the inner lives of performers and spectators alike. The narrative structure, offering multiple viewpoints, poses problematics of identity and interpretation as they relate to the central theme of passion for music. Gnaedig's fluid, sonorous style imitates its musical theme. His vivid yet concise description appeals to the senses, with its attention to scents, colors, and sounds, and to emotion, spanning from intense pain to profound admiration. (…)

The novel's innovative structure and narrative technique allow for the multiple, often contradictory views of members of the orchestra and audience. The duration of the novel correlates with that of the concert's program, and each major division corresponds to the concert's progression. (…)

As the novel progresses, the diverse images of each concert participant accumulate, underscoring the themes of identity and interpretation. As musicians and spectators question themselves, asses each other's talent and character, and recall previous encounters, they reflect subjective elements, that is the jealousies, insecurities, aspirations, and class affiliations, which not only contribute to the profession's politics, but also filter the interpretation process. (…)

The novel's final reference to the concert as "opus incertum" explicitly creates an analogy between the musical and literary work through implications of uncertainty and ambiguity, suggesting the complex, fluid nature of any interpreation, musical or literary, historical or fictional. (…)

Although music lovers will undoubtedly enjoy the musical context, one need not possess a vast musical knowledge or ability to appreciate Opus incertum."

Kristin Kirkham, The French Review